Interdire le jaune à la population tout en l’imposant sur les bannières royales : ce paradoxe a façonné plus d’une couronne. Derrière chaque préférence chromatique affichée par une reine ou rejetée par un royaume, ce sont des années de stratégies, de croyances et de jeux de pouvoir qui s’entrelacent.
Les souverains n’ont pas toujours eu le dernier mot sur la couleur de leurs atours. Certains édits dictaient qui pouvait porter telle nuance, qui devait s’en abstenir, parfois même en défiant les goûts du monarque. Cette hiérarchie des couleurs, mouvante et volontiers arbitraire, éclaire des mécanismes sociaux longtemps restés dans l’ombre.
Les couleurs à travers l’histoire : reflets de pouvoir et de société
Depuis des siècles, la couleur tapisse les coulisses du pouvoir. Au Moyen Âge, le bleu, discret à ses débuts, finit par conquérir les manteaux royaux et devient signe d’autorité. L’historien Michel Pastoureau a mis en lumière ce passage du bleu religieux au bleu royal. Avant cela, le rouge, héritier du pourpre romain, occupait le sommet, omniprésent dans les cérémonies et les rituels des rois de France. Le vert suit quant à lui un destin plus trouble : apprécié chez Néron, glorifié par certaines cultures, il est jugé instable en Occident, souvent regardé d’un œil méfiant.
Ce langage des couleurs n’est jamais fixé. Ainsi, en Asie, le jaune désigne la splendeur de l’empereur, tandis qu’en Europe, le noir oscille entre gravité et distinction, et le blanc symbolise pureté ou équilibre dans les grands moments de la vie sociale et religieuse. Chacune de ces couleurs a ses privilèges, parfois ses interdictions, et cette répartition s’affiche comme un révélateur du rang social et des rapports de force à l’œuvre.
Pour comprendre comment les codes chromatiques se sont mis en place, voici la circulation de certaines couleurs entre prestige et mise à l’écart :
- Le bleu : longtemps réservé à une élite, il devient symbole de respectabilité auprès du pouvoir.
- Le vert : adulé ici, dénigré là, il traverse les époques sous le signe de l’ambivalence.
- Le rouge : associé successivement à l’autorité, la ferveur ou la méfiance, il intrigue et ne laisse pas indifférent.
Les avancées scientifiques ont tenté de décrypter la couleur, de mesurer ses effets, mais elles heurtent vite les frontières des croyances et de la culture. Les couleurs favorites affichent les aspirations d’une époque, les exclusions révèlent ses craintes collectives.
Pourquoi certaines teintes fascinent-elles plus que d’autres ?
Les spécialistes de la psychologie des couleurs le constatent : notre perception des teintes n’est pas anodine. Le bleu inspire confiance, calme, fiabilité. Ce n’est pas par hasard qu’il a été hissé au rang de couleur de référence dans de nombreuses cours européennes à l’époque moderne, ni que nombre de souveraines l’ont adopté au fil des décennies. La symbolique du bleu s’accompagne d’effets mesurables : il apaise et rassure.
Face à ce calme, le rouge affirme sa force. Vif, stimulant, parfois même perçu comme une alerte, il est partout où il s’agit d’attirer l’attention ou d’imposer le respect : bannières, tapis officiels, manteaux d’apparat. Le vert reste quant à lui difficile à saisir. Certains y voient l’espoir, d’autres la bizarrerie ou l’imprévu.
Pour démêler ce réseau d’associations, voici un tour d’horizon des significations attribuées couramment aux couleurs majeures :
- Jaune : éclat et gaieté, mais aussi traîtrise dans le folklore européen.
- Noir : raffinement, pouvoir, mais aussi recueillement et gravité.
- Blanc : ordre, clarté, omniprésence dans les univers où le contrôle est valorisé.
- Orange : énergie, esprit de fête, gourmandise.
- Violet : prestige, inspiration, imagination.
La chromothérapie s’emploie à utiliser ces nuances comme outils pour agir sur l’humeur ou la productivité, mais la culture reste le filtre déterminant. Nos élans et répulsions sont façonnés par le regard collectif : la couleur sert de langage silencieux, signale la posture sociale, affirme ou relativise le pouvoir.
Au Moyen Âge, la couleur moins appréciée : entre tabou et marginalité
Exit le nuancier contemporain. Au Moyen Âge, le vert flotte dans un entre-deux. Il plaît, mais déroute. Si l’on en croit Michel Pastoureau, le vert se charge d’abord d’un symbole ambigu : relié à la nature et à l’espérance, il incarne aussi l’imprévisible, le chaos latent. Or, l’époque met en avant l’ordre, la stabilité, tout ce que le vert semble menacer.
Dès le XIIe siècle, le bleu s’impose dans les représentations du pouvoir ; le rouge reste la marque de l’autorité et du prestige. Le vert, lui, se retrouve souvent assigné aux amuseurs, bouffons ou personnages en marge. Sa teinture, capricieuse et instable, n’arrange rien : le vert change, se dégrade, refuse de conserver la même intensité. Dans les miniatures, il s’attache aux figures négatives ou aux exclus : Judas, les fous, ceux relégués hors de la norme.
Ce classement se résume ainsi :
- Vert : ambivalence, exclusion, frontière du tolérable
- Bleu : noblesse, légitimité
- Rouge : pouvoir, éclat, charisme
Pour l’Europe médiévale, le vert inquiète, alors qu’il s’illustre par sa valeur dans d’autres aires culturelles. Les conceptions de l’époque, entre théologie et science naissante, réservent à chaque nuance une place très claire dans la société. Exclure une couleur, c’est aussi maintenir l’équilibre voulu par l’ordre établi.
Quand les préférences chromatiques révèlent l’évolution des mentalités
Une chose demeure : la couleur fait office de marqueur dans le jeu social. Elle sert à affirmer, hiérarchiser, distinguer. Elizabeth II ne choisissait pas ses robes au hasard. Sa conseillère, Angela Kelly, veillait à ce que chaque teinte appuie le message voulu : visibilité, dignité, constance.
Dans les codes officiels, le beige reste banni : il ne ressort pas, efface la figure centrale. Même le vert, parfois adopté, n’est jamais choisi à la légère. Porter une teinte, c’est prendre position : sécurité avec le bleu, rayonnement avec le jaune, gravité avec le noir, tentative de renouvellement avec le vert.
Le décryptage des couleurs à la cour royale peut se résumer ainsi :
- Bleu : fiabilité, autorité, durée
- Jaune : éclat, optimisme
- Noir : solennité, respect
- Vert : nouveauté, nature, mais ambiguïté persistante
L’observation des usages par la presse spécialisée ou les historiens, évoquant par exemple Vogue ou Sali Hughes, le confirme : la portée d’une couleur dépend du moment, de la société, de son imaginaire collectif. Les sociétés évoluent, bousculent les anciennes exclusions, s’emparent de nouveaux codes. Aujourd’hui rejetée, demain peut-être consacrée : l’histoire de la couleur continue de s’écrire sur les habits et les emblèmes du pouvoir.


